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"Face aux crises, une solution : la conversion écologique et sociale de notre société"

Billets / Tribunes

| Par Bruno Rebelle | Mardi 14 Décembre 2010 à 10:43 | 0 commentaire

Tribune publiée le 14 décembre dans Libération


Le Mondial au Qatar ou l’ineptie vue du ciel
Le télescopage d’informations peut être choquant : Alors que s’ouvrent les négociations sur le climat à Cancun, on apprend que c’est le Qatar qui organisera en 2022 la coupe du monde de football… Je ne connais rien au ballon rond et je laisse à d’autres le soin de commenter la pertinence de ce choix. Mais, en écologiste déterminé je ne peux laisser passer un tel projet au regard des enjeux planétaires auxquels nous sommes tous – qataris inclus – confrontés. Je peux encore moins ignorer le soutien qu’apporte Yann Arthus Bertrand au projet.

En superficie et population le Qatar équivaut à trois départements français. Différence notoire, il y fera, au moment de la coupe du monde, plus de 50°C, un handicap sérieux pour jouer au foot. On nous annonce donc, sans rire, que les 9 stades construits pour l’occasion seront entièrement climatisés. C’est probablement parce que la climatisation sera à base d’énergie solaire que notre photographe héliporté apporte son soutien au Qatar.

A priori, promouvoir la climatisation solaire d’équipements collectifs est écologiquement correct… L’ineptie n’est pas là.

Il faut, pour mesurer l’inconséquence du projet, prendre de la hauteur, ce que notre spécialiste des vues du ciel aura peut être oublié. C’est l’idée de construire 9 stades dans un pays de 1,6 millions d’habitants qui en compte déjà 3, qui n’a aucun sens. Les organisateurs ont vu le piège et ont inventé le « stade à usage unique ». Les équipements seront donc démontés pour être ensuite réinstallés dans des pays insuffisamment équipés… L’intention est généreuse, mais elle n’est pas écologiquement supportable. Si l’on fait un bilan carbone de l’investissement, incluant les matériaux de construction, les consommations d’énergie pour le montage, le démontage, le transport « en kit » et le remontage dans les pays d’accueil, on se rendra vite compte que l’utilisation du solaire pour la climatisation ne réduirait que très marginalement l’énorme impact sur le climat de ce projet.

On me rétorquera que ces réalisations constituent un bon laboratoire pour développer de nouvelles solutions. Mais cette critique de la critique ignore qu’il n’est plus nécessaire aujourd’hui de tester les technologies solaires qui sont pour la plupart suffisamment mûres. En revanche, il est grand temps d’investir pour développer les énergies renouvelables – comme le soleil et le vent – pour alimenter de manière pérenne les écoles, les hôpitaux, les services publics, ou les habitations.

Nous pourrions aussi souligner la demande en eau que génère une coupe du Monde, surtout en plein désert… Cette eau, il faudra soit la faire venir à grand frais d’on ne sait où, soit la produire par désalinisation là aussi très consommatrice d’énergie.

Une autre indécence mérite d’être soulignée. Le projet coûtera 50 milliards de dollars. Bien sur, cette manne aurait pu être orientée vers autre chose qu’un investissement à usage unique. Mais surtout on peut craindre que l’énorme chantier ne change pas grand chose aux pratiques sociales dans les pays du Golfe où la main d’œuvre pakistanaise, indienne ou chinoise est surexploitée : salaires de misère, logements dans des conteneurs métalliques, véritables fours posés en périphérie des villes, négations des droits élémentaires. Le durable c’est aussi veiller à ce que le développement favorise l’épanouissement des individus… de tous les individus. La vue du ciel que nous propose régulièrement Arthus Bertrand, ne devrait pas faire abstraction de cette dimension humaine.

Ma critique ne vise pas à priver les qataris de Coupe du Monde. L’alternative pourrait être de penser l’événement à l’échelle régionale pour valoriser des équipements existants, répartir les investissements, proposer un travail décent aux acteurs locaux. On démontrerait ainsi que la fête du foot peut répondre aux enjeux modernes : équité sociale et territoriale, économie de ressources, protection du climat… préoccupations qui constituent le nouvel impératif de tout grand projet.

Ma critique est aussi tournée vers Yann Arthus Bertrand qui, fort de son aura médiatique, devrait être plus précautionneux des soutiens qu’il apporte. Nul ne critique le travail du photographe et la puissance des images qui forcent l’engagement. Mais les mots qui accompagnent ces images doivent faire sens et le militantisme dont se revendique Arthus Bertrand ne peut s’accommoder d’aucune complaisance. Sinon, la promotion du développement durable ne sera qu’une bouffonnerie contreproductive.


Bruno Rebelle

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