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"Face aux crises, une solution : la conversion écologique et sociale de notre société"

Billets / Tribunes

| Par Bruno REBELLE | Vendredi 12 Avril 2013 à 19:03 | 5 commentaires

L’Union française de l’électricité est en colère… et je m’en réjouis. En accusant les ONG et certains experts de faire l’apologie de la décroissance pour mieux atteindre leur objectif d’une société qui contribuerait à lutter contre le changement climatique et à réduire le risque nucléaire, le syndicat interprofessionnel de la production et de la distribution d’électricité tombe dans la caricature. Mais, comment ne pas voir dans cette réaction le fait que le débat national sur la transition énergétique touche efficacement le cœur des enjeux ? La polémique ouverte n’est qu’une nouvelle illustration du poids des certitudes martelées depuis des années par les promoteurs d’un modèle énergétique pourtant à bout de souffle. Une diatribe réductrice et bien peu cohérente avec l’esprit d’un débat constructif que nous nous efforçons d’encourager.


Débat énergie : il y a de l’électricité dans l’air !
Tout commence avec le travail des experts invités par le CNDTE - Conseil national du débat sur la transition énergétique dans lequel siège l’UFE – à analyser les scenarii existants (dont le scénario de l’UFE récemment mis à jour). Ce travail de décryptage est incontournable car les différents exercices de modélisation disponibles ne portent pas tous sur le même périmètre ou sur la même échelle de temps. Le groupe d’experts dont la pluralité a été validée par le Conseil, propose un classement de ces scenarii en trois familles en fonction des perspectives de consommation énergétique à l’horizon 2050 : consommation stable d’énergie, réduction modérée, réduction ambitieuse. Les experts poursuivent alors l’analyse en regardant comment ces familles de scenario prennent en compte les critères d’appréciation qualitative qui ont été arrêtés par consensus par le CNDTE. Un des critères, réputé essentiel, est le respect des engagements de la France en matière de changement climatique qui se traduisent par l’obligation pour notre pays de diviser par 4 nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 – objectif facteur 4.

L’analyse des experts est explicite : seuls les scénarii proposant une réduction ambitieuse de la consommation énergétique permettent d’atteindre le facteur 4. On retrouve ici les propositions de Négawatt et de Greenpeace, assez proches l’une de l’autres, mais aussi la trajectoire dessinée par l’ADEME qui atteint également le facteur 4 avec des choix assez différents de ceux de Négawatt, notamment en matière de mobilité. L’analyse révèle aussi qu’en retravaillant certaines options du scénario CIRED de réduction modérée des consommations, il serait possible d’en infléchir le cours pour le rendre compatible avec les engagements climatiques internationaux. En revanche, l’analyse du groupe d’expert disqualifie de fait les options proposant une stabilité de la consommation ou les scénarii ne proposant qu’un effort modéré d’économie et d’efficacité.
C’est probablement de ce classement que vient la colère de l’UFE. En effet son scénario est fondé sur une demande stable d’énergie. Même si la proposition de l’UFE ne porte que sur l’électricité, elle est proche du scénario NegaTep qui intègre toutes les demandes d’énergie, et propose le déploiement de l’électricité dans des champs d’utilisation plus vaste que ceux dans lesquelles elle est aujourd’hui utilisée. Cette « électrisation » massive serait permise par un déploiement renforcé de la production électronucléaire peu émettrice de carbone autorisant au final une réduction sensible des émissions de GES, même si cette réduction reste loin d’atteindre le facteur 4.

L’UFE déploie alors une critique violente des scénarii les plus volontaristes en matière de climat et d’énergie, en les déclarant irrationnels puisqu’ils ne prendraient pas en compte les mêmes indicateurs de base que ceux retenus par l’UFE. Oui, le scénario Négawatt ne prévoit pas d’augmentation massive du PIB et assume ce choix en soulignant que cet indicateur est de plus en plus contesté et qu’il n’atteste que très partiellement des réalités sociales du pays et du bien être dans lequel vit la société. Rappelons ici que le Président Sarkozy avait lui même demandé une mission pour produire d’autres indicateurs de richesse comme alternative au PIB. On notera aussi qu’un certain nombre d’économistes – y compris ressortissants d’institutions internationales reconnues – n’hésitent plus à annoncer que nous rentrons dans une période de « croissance durablement molle »… un bel euphémisme pour ne pas dire que notre richesse globale est appelée – au moins en Europe de l’Ouest – à stagner dans les prochaines décennies. Les mêmes rappellent alors l’importance des économies d’énergie pour justement réinvestir ce que nous dépensons en pétrole, gaz et uranium dans des investissements pouvant structurer une économie et une société plus économe en énergie. Le choix de Négawatt est sur ce sujet clair, transparent et totalement assumé. On peut ne pas être d’accord, mais ces options sont aussi crédibles que celles qui prévoient une croissance régulière du PIB sur la période 2013-2050 en, ces temps d’économie sérieusement en panne.

Pour continuer dans sa tentative de déqualification du scénario Négawatt, l’UFE martèle, à juste titre, « i[qu’aucune projection de ce type [transition énergétique] ne peut être décorrélée de sa dimension économique]i ». Le syndicat des électriciens a juste oublié de prendre connaissance de l’étude récemment publiée par Négawatt pour compléter ses propositions techniques en chiffrant ses choix et en mesurant l’impact net en emplois des options retenus. Ce travail a été conduit par Philippe Quirion, chercheur reconnu du CNRS – CIRED. Il fait la preuve de l’intérêt économique et social des propositions avancées : un scénario significativement moins cher que le scénario tendanciel et qui permet de créer plus de 600.000 emplois à l’échéance 2050. On peut toujours critiquer ces résultats, mais l’analyse a été faite et les données sont la aussi à la disposition de ceux qui veulent les éplucher…

L’autre argument avancé par l’UFE dans la polémique qu’elle anime est encore plus spécieux. L’UFE reprocherait à Négawatt d’avoir conçu un scénario qui permette, en plus de la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, de sortir du nucléaire autour de 2030. C’est effectivement un choix affirmé par ce groupement d’experts, un choix dont la légitimité ne peut être contestée. Pourquoi donc faire un procès d’intention qui n’a pas lieu d’être ? Ni Négawatt, ni Global Chance que l’UFE s’efforce aussi d’attaquer, n’ont jamais caché leur préconisation sur ce sujet. Ce scénario ne peut donc être discrédité au seul motif qu’il démontre qu’il est possible – sur le papier au moins – de respecter le facteur 4 ET de sortir du nucléaire.

Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire avec l’UFE « que les choix énergétiques ne peuvent être faits qu’à partir d’un consensus sur la vision de la société future ». Je pense plutôt que vu l’importance de l’énergie dans nos vies quotidiennes et dans nos sociétés, les choix énergétiques sont une partie intégrante de la vision de la société que nous souhaitons pour demain. Cette vision est nécessairement une construction complexe qui doit prendre en compte les contraintes qui nous sont posées par les caractéristiques géophysiques de notre planète et définir les possibles à l’intérieur même de ce champs des contraintes. Cette vision d’une société future peut donc se construire en deux temps, pour ce qui concerne l’énergie. D’abords en définissant le niveau de besoin considéré comme nécessaire pour satisfaire de manière équitable les attentes des individus, des ménages, des institutions et des acteurs économiques. Ensuite en proposant la meilleure combinaison de solutions pour couvrir ces besoins, en n’oubliant pas de rappeler que chacune de ces solutions génère son lot d’avantages et d’inconvénients – nuisances, risques, coûts à court, moyen et long terme. C’est bien sur cette combinaison d’avantages et de risques que le consensus doit se construire le plus sereinement possible.


La tâche est immense mais elle n’est pas impossible. Elle impose cependant de travailler avec méthode, sans exclusive et sans condamnation a priori de telle ou telle option. Faisons le pari que la société saura dire, dès l’instant où elle aura (enfin) toutes les informations en main, ce qui est bon pour elle et qui l’a met en danger.

Bruno REBELLE

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Commentaires

1.Posté par Nikopol le 13/04/2013 00:07 (depuis mobile)
Continuons l''immobilisme contre les fossiles qui conduit les allemands a précipiter l''Europe dans l''austérité sans baisse de CO2 ! le scenario Greenpeace est bien creux. Quand a Negawatt il est fantasque, comme www.sauvonsleclimat.org l''explique bien

2.Posté par Nikopol le 13/04/2013 00:07 (depuis mobile)
Continuons l''''immobilisme contre les fossiles qui conduit les allemands a précipiter l''''Europe dans l''''austérité sans baisse de CO2 ! le scenario Greenpeace est bien creux. Quand a Negawatt il est fantasque, comme www.sauvonsleclimat.org l'explique bien

3.Posté par Nikopol le 13/04/2013 00:10 (depuis mobile)
http://blogues.lapresse.ca/sciences/2013/04/10/energie-renouvelable%C2%A0%C2%A0le-%C2%ABpari%C2%BB-allemand/
La france n'est pas l'Allemagne et meme elle met l'Europe au bord de la catastrophe pour que les verts ne fassent pas perdre les élections..

4.Posté par Energie Durable le 13/04/2013 12:39
@nikopol Bruno R. indique une voie créatrice d'emplois et de richesses pour les territoires, car économiser et produire sa propre énergie rend plus fort. Les énergies fossiles et l'ébriété énergétique placent les territoires en situation de soumission et de faiblesse. Souhaitez vous nous affaiblir ?

5.Posté par UFE le 25/04/2013 17:53
Débat énergie : pourquoi tant de … stress ??

Prenant acte du billet à l’encontre de l’UFE que vous avez posté vendredi dernier sur votre blog, permettez que nous y apportions quelques précisions puisque nous sommes dans le cadre d’un « débat » sur la transition énergétique où chacun est supposé pouvoir défendre ses positions.

Nous nous interrogeons d’abord à quel titre vous prenez ainsi partie. Il est en effet étonnant, pour ne pas dire plus, qu’un membre du Comité de pilotage du Débat milite ouvertement pour une organisation ou un scénario alors qu’il devrait être garant d’une expression des différents points de vue et de la bonne tenue du débat. Nous aimerions connaitre ce qu’en pense le Secrétariat Général du Débat ainsi que sa Présidente.

Nous ne sommes pas « en colère » et, en toute sincérité, il n’y a vraiment pas de quoi « se réjouir ». Nous sommes avant tout attentifs à ce que les propositions avancées par certains acteurs, qui semblent faire de l’arrêt du nucléaire le principal objectif de la transition énergétique, soient évaluées quant à leurs conséquences économiques au-delà d’un simple postulat de principe. L’UFE tente de son côté à faire entendre des propositions en matière de transition énergétique conciliant rythme de déploiement dans le temps et impératifs évidents en matière industrielle, sociale et économique pour la nation.

Au-delà de la forme, vos propos nous interpellent sur le fond sur plusieurs points et non des moindres.

Tout d’abord, dire que « seuls les scénarios proposant une réduction ambitieuse de la consommation énergétique permettent d’atteindre le Facteur 4 » est une contre-vérité.
Les scénarios électriques proposés par l’UFE à l’horizon de 2030 contribuent largement au Facteur 4, compte tenu de la performance du secteur électrique. Rappelons qu’au niveau international un consensus existe sur le fait que, pour atteindre le Facteur 4, il faudrait que les systèmes électriques soient décarbonés entre 80 et 90 % en 2025. Or, la France l’est déjà actuellement à plus de 90 % ! Il est donc erroné d’affirmer que les scénarios de l’UFE qui portent sur le seul secteur électrique ne permettent pas d’atteindre le facteur 4 pour l’ensemble de l’énergie en France.

Par ailleurs, d’autres leviers pour atteindre le facteur 4 existent que la réduction de la demande. Par exemple, Il est tout à fait pertinent d’arbitrer entre un investissement dans un nouvel actif de production d’énergie renouvelable et un autre dans une mesure d’efficacité énergétique.
Si produire un MWh d’énergie éolienne coûte environ 75 € alors qu’un MWh économisé grâce à l’isolation thermique externe d’un immeuble vaut plus de 260 €, et considérant que la durée de vie de ces deux actions est assez proche, quelle est la solution la plus intelligente ? Pour atteindre le même objectif, qui est de réduire les émissions de CO2, il peut ainsi être plus intéressant de coupler une pompe à chaleur avec une production EnR plutôt que de procéder à une mesure d’isolation très coûteuse.

Ensuite, concernant le « taux de croissance du PIB », nous notons que « Négawatt ne prévoit pas son augmentation massive », mais ceci ne dit toujours pas à quel niveau ce taux se situe.
L’UFE peut vous suivre quand vous affirmez que le PIB ne constitue pas un indicateur global des réalités sociales d’un pays. Pour autant, le PIB reste l’indicateur financier incontournable du fonctionnement d’une économie. Son niveau impacte le niveau de la production industrielle, le niveau des revenus courants des ménages, la capacité à honorer la dette et surtout la capacité à créer des emplois au-delà de la croissance démographique et des effets de la productivité.
Le refus de donner une valeur précise de cet indicateur n’empêche pas que ce scénario recèle une hypothèse sous-jacente de la croissance : toute trajectoire de demande comporte une composante liée à la croissance économique au côté des composantes efficacité énergétique et sobriété. Vu le niveau de décroissance de la demande envisagée et compte tenu des potentiels économiquement accessibles de la sobriété et de l’efficacité énergétique, il est aisé de conclure que ce scénario ne peut reboucler que par une baisse de l’activité économique.

L’absence d’hypothèse concernant l’activité économique entame largement la crédibilité des calculs en termes d’emplois, développés par Philippe Quirion. Rappelons que ce dernier est certes, comme vous l’indiquez « chercheur reconnu du CNRS - CIRED » mais qu’il est aussi officiellement membre de Negawatt. A défaut d’hypothèse sur le PIB, les calculs réalisés ne peuvent prendre en compte l’impact global sur l’emploi.

Il est en effet établi qu’une croissance inférieure à 1,5% produit une aggravation mécanique du chômage. Sur la base d’une simple estimation à partir de la loi d’Okun et pour illustrer concrètement le propos, un niveau de croissance zéro en France entrainerait une hausse du taux de chômage de 0,4 pt. Appliqué jusqu’en 2050, ceci nous donnerait mécaniquement 4,5 millions de chômeurs supplémentaires. Que vaudraient dans ces conditions les 500 ou 600 000 emplois créés tels qu’annoncés… Est-ce l’image de la croissance verte que l’on veut donner à nos concitoyens ?

Enfin le scénario Négawatt serait « moins coûteux que le scénario tendanciel ». Comment peut-on affirmer ceci en passant sous silence la masse d’investissements nécessaires dans le domaine de l’efficacité énergétique pour atteindre un niveau incroyablement bas de consommation d’électricité (280 TWh) ? Sauf à considérer que la décroissance économique pourrait apporter les précieuses économies d’énergie recherchées….


Enfin concernant la sortie du nucléaire en particulier , l’UFE n’a jamais affirmé qu’envisager une telle option n’était pas légitime sur le plan politique. La sortie du nucléaire constitue un des scénarios étudiés en 2011 par l’UFE. Cette étude a permis d’en exposer clairement les conséquences en termes de coûts échoués et d’investissements à réaliser, sur la base de différentes trajectoires de demande.

Enfin, nous vous rejoignons quand vous affirmez « …la tâche impose de travailler avec méthode, sans exclusive et sans condamnation a priori ». Nous vous prenons au mot quant au parc nucléaire français : pourquoi le condamner a priori alors qu’il constitue l’un des très rares avantages compétitifs de la France.

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